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Lien de sécurité et perception Enjeux dans les TCA. Dr Bruno Dubos. Hors-Série Revue Hypnose et Thérapies Brèves 17




Lien de sécurité et perception Enjeux dans les TCA. Dr Bruno Dubos. Hors-Série Revue Hypnose et Thérapies Brèves 17
Etablir un lien de sécurité, réinsuffler au corps de la chaleur humaine, deux fondamentaux du travail thérapeutique dans le cas de troubles des conduites alimentaires avec des patientes déconnectées de leur système perceptif.


Les troubles des conduites alimentaires (TCA) restent à ce jour un défi pour tous les thérapeutes. Qu’il s’agisse de problématiques restrictives ou de surcharge pondérale et d’obésité, la probabilité d’une évolution chronique est admise comme presque inévitable. Le deuxième point est que bien souvent la rencontre thérapeutique ne se produit pas dans les premiers temps des processus dysfonctionnels, mais parfois après plusieurs années d’évolution.

Comme cela a déjà été maintes fois évoqué, notre représentation de l’humain en relation privilégie le monde des représentations psychiques, des pensées, des croyances et des mythes. Dans cette vision, la compréhension des enjeux relationnels, la possibilité de changements des systèmes de pensée et des croyances, la « conscientisation » des enjeux relationnels familiaux sont gages de changements et d’évolution positive

Nombre de patientes anorexiques continuent contre vents et marées à se « voir grosses »...

des troubles alimentaires. Mon expérience de plus de trente années avec ces patientes et ces patients m’a amené à remettre en cause ce paradigme, et ce pour plusieurs raisons. Nombre de ces patients et de ces patientes avaient déjà entrepris d’autres démarches thérapeutiques, avec une analyse fine et pertinente de leurs problématiques, sans que pour autant des changements de leur état soit significatifs.

J’ai de plus été très vite interpelé par leur grande difficulté à trouver de la sécurité et de la confiance dans leurs liens en général, mais également avec moi. La grande majorité des patientes et des patients avaient une difficulté à « être en lien » avec leurs sensations corporelles. Ils pouvaient exprimer des sentiments autour de leur état (tristesse, stress, manque de confiance, etc.), sans être en mesure d’en repérer les effets corporels. Qu’il s’agisse de troubles restrictifs ou d’obésité, le regard que ces patientes et ces patients portaient sur eux-mêmes était très dépendant du retour et de l’appréciation de l’autre. Bien souvent, il existait une discordance entre ce qu’ils et ce qu’elles voyaient d’eux-mêmes et d’elles-mêmes. Nombre de patientes anorexiques continuent contre vents et marées à se « voir grosses » alors qu’elles sont manifestement en état de maigreur. Elles restent compétentes pour la repérer chez les autres, mais aucunement pour elles. Dans les contextes de chirurgie bariatrique, lors de la perte de poids, le constat est le même. Certains patients et certaines patientes continuent, dans leurs choix vestimentaires et dans leurs comportements relationnels, à « faire comme avant la perte de poids ».

Pour se voir et s’imaginer, il faut se sentir

Ces observations amènent sur des enjeux importants dans le travail thérapeutique : il n’est pas question de remettre en cause l’intérêt du travail psychologique avec ces patients et ces patientes. Les amener à s’imaginer autrement, à pouvoir créer des changements dans leur façon d’être en lien dans leur monde relationnel, de pouvoir mobiliser un autre « narratif » de leur histoire et de leur évolution, reste indispensable. Cependant, ces objectifs, aussi louables soient-ils, sont impossibles à atteindre si certains fondamentaux ne sont pas acquis. La prise en compte de ces « prérequis » détermine l’évolution positive du travail thérapeutique.

La mobilisation d’un « processus émergent créatif », c’est-à-dire la survenue d’un imaginaire différent sur nous-mêmes, sur le monde qui nous entoure, sur la relation à l’autre et sur les liens que nous tissons dans notre monde relationnel, est assujetti à deux fondamentaux. Ce processus créatif ne peut se développer que s’il existe un lien de sécurité avec un tiers, en l’occurrence le thérapeute, et que le sujet puisse être en lien avec son système perceptif au sens large du terme. Pour se voir et s’imaginer, il faut se sentir. Or, ces deux fondamentaux sont

insuffisamment pris en compte dans le travail avec ces patientes et ces patients. Un imaginaire non « incarné » reste dans le monde des représentationspsychiques,commeunballond’héliumsansficelle.L’esprit vagabonde, parfois de manière très stéréotypée, sans qu’aucun changement ne s’inscrive dans le corps du patient ou de la patiente.

« La fonction ne crée pas la sécurité ». Notre statut de soignant, compétent, par essence même à l’écoute, disponible, dont les bonnes intentions et la bienveillance ne peuvent être remises en cause, ne suffisent malheureusement pas. Comme nous allons le voir, ces deux fondamentaux doivent être au centre de nos premières intentions thérapeutiques. A cet égard, les troubles des conduites alimentaires représentent un réel défi.

La remise en lien avec le système perceptif

Les lecteurs et les lectrices sont familiarisés avec la notion de dissociation. Les troubles des conduites alimentaires sont à la fois un problème et une solution qui aboutissent à un état de dissociation dont la fonction n’est pas univoque : anesthésie corporelle à la fois source et conséquence d’un processus d’arrêt évolutif, lutte contre l’émergence sensorielle alimentée par la relation au monde et à l’autre trop insécurisante, lutte contre l’effondrement, protection dans un vécu traumatique, etc. Avant d’être psychologique, cette dissociation est corporelle.

De cette observation découle la première intention thérapeutique : sortir del ’état d’anesthésie et de dissociation. L’enjeu final étant de pouvoir à nouveau « se ré-approprier un corps en relation ». Cette intention thérapeutique passe par une évaluation de cet état de dissociation. Ce bilan fait appel tout autant à l’observation du corps en relation des patientes et des patients et au questionnement. L’observation est une intention à part entière, même si elle est toujours en lien avec la seconde que nous évoquerons plus loin, à savoir l’installation d’un lien de sécurité. Elle s’appuie sur l’observation des fondamentaux proprioceptifs (rythmes du corps, tonus, volumes internes et externes, les ancrages, les mouvements du bassin) et sur la globalité des mouvements corporels. Il convient
d’apporter l’attention à la fluidité des mouvements et à la présence même des mouvements corporels. Le figement et la raideur sont de bons indicateurs d’une dissociation corporelle. Le questionnement porte sur les effets corporels des évocations des patientes et des patients. Qu’il s’agisse de la verbalisation de contextes relationnels particuliers ou d’expériences de vie, ou de l’expression de sentiments ou d’affects, le questionnement sur les effets corporels se doit d’être systématique. Il est alors fréquent que les patientes et les patients soient en difficulté pour répondre...

Le cas de Lison, « camouflée » sous des vêtements trop larges

Lison a 17 ans. Elève à la scolarité brillante, elle doit quitter le domicile familial à la prochaine rentrée pour incorporer une prépa Sciences-Po. Durant l’été, elle a développé une préoccupation sur son poids. Elle se trouve trop grosse et refuse d’aller à la plage, elle refuse de se mettre en maillot de bain, commence à se « camoufler » sous des vêtements trop larges et réduit progressivement ses interactions sociales pour rester avec ses parents et sa petite sœur de 12 ans.Très rapidement, les restrictions alimentaires et l’aménorrhée s’installent avec des items « dépressifs ». Le diagnostic d’anorexie est posé. Lison ressemble, au premier contact, à « une toute petite fille perdue ». Son regard est dans le vague, elle est recroquevillée sur sa chaise, elle se tient sur la pointe des pieds. Elle semble « enroulée autour de son bassin ». Elle est en quelque sorte pliée en deux, les coudes sur les cuisses. Elle se lève lentement lorsque je viens l’accueillir. Elle est raide tant sur le plan axial ainsi que dans ses jambes et ses bras. Son discours est lent et elle a de grandes difficultés à me regarder. Elle m’explique qu’elle ne sait pas pourquoi elle est là. Elle veut qu’on la laisse tranquille. Elle ne s’explique pas ses idées noires mais elle sait qu’elle n’est pas anorexique, mais qu’elle est trop grosse, qu’elle n’a pas confiance en elle et qu’elle est tout le temps stressée.

- Thérapeute : « Et quand tu me dis que tu as des idées noires, cela fait quoi à l’intérieur ?
- Lison : A l’intérieur ? Je ne comprends pas...
- Th. : Là, dans le corps.
- Lison : J’en sais rien, c’est bizarre comme question, j’ai les idées, c’est tout...
- Th. : Ah, OK, donc c’est surtout des idées et des pensées.
- Lison : Oui, c’est ça.
Le thérapeute accepte la définition de Lison quant à la nature de son problème. Cependant la dissociation visible à l’observation est renforcée par le questionnement.
- Th. : Et quand tu me dis que tu es stressée, à quoi tu te rends compte que tu l’es ? C’est quoi les sensations qui te font te rendre compte du stress ?
- Lison : Je ne sais pas, mais je le sais, c’est tout.
- Th. : Si je comprends bien, tu le sais mais tu ne le sens pas, c’est ça ?
- Lison : Oui.
Elle baisse la tête et se met à pleurer.
- Th. : Qu’est-ce qui se passe là ? Comment c’est dedans avec ça ?
- Lison : Je suis triste, c’est tout.
- Th. : Je vois bien que tu es triste. Mais m’autorises-tu à te poser une autre question bizarre ?

Lison s’essuie les yeux, mais reste parfaitement immobile. La dissociation est majeure à ce stade. Ses pensées et ses affects sont com- plètement dissociés de son ressenti corporel.

- Th. : Tu m’as dit que tout cela a commencé en début d’été. Si mes souvenirs sont justes, il faisait très chaud il me semble... Comment tu faisais avec ça ?
- Lison : Avec quoi ?
- Th. : Avec la chaleur.

« Es-tu d’accord avec moi pour considérer que tu es envahie de tristesse et de stress ? »

- Lison : J’avais pas chaud moi.
- Th. : OK, mais tes parents, ta sœur ?
- Lison : Ils crevaient de chaud, mais pas moi.
- Th. : Comment expliques-tu cela ?
- Lison : C’est comme ça, je ne me l’explique pas.
- Th. : Et ça a été toujours comme ça... avant, je veux dire ?
- Lison : Non, c’était pas comme ça avant.
Cette évaluation a plusieurs niveaux d’intérêt. Elle vient confirmer, pour le thérapeute, l’absence de lien avec le système perceptif. Le deuxième niveau est de confronter, de manière indirecte, Lison à cette réalité (l’anesthésie), sans rentrer dans une confrontation symétrique sur son déni du processus anorexique.

- Th. : OK Lison. Es-tu d’accord avec moi pour considérer que tu es envahie de tristesse et de stress ?

Lison acquiesce.

- Th. : C’est bien, nous sommes au moins d’accord sur ce point. Du coup, es-tu d’accord pour considérer que ce n’est pas complètement naturel de ne rien sentir du tout, alors qu’auparavant ce n’était pas le cas ?
- Lison évite le regard mais répond : C’est possible, oui.
- Th. : Dans ce cas, si nous sommes aussi en accord sur ce point, te semble- t-il envisageable qu’ensemble nous essayions de faire changer cela ?
- Lison : Je veux bien, mais je ne vois pas le rapport avec le stress.

Lison a déjà de fait accepté cette proposition thérapeutique qui, à ce stade, n’est pas menaçante pour elle.

- Th. : Voilà une remarque tout à fait pertinente. Pour s’occuper efficacement du stress, il faut pouvoir au préalable le sentir... se sentir à l’intérieur... »

Cette suggestion du passage de « le sentir » à « se sentir » est manifestement acceptée par Lison comme première base de travail.

... le trouble des conduites alimentaires s’inscrit dans une finalité d’anesthésie pour échapper à des sensations trop insécurisantes ou traumatiques.
La thérapie étant une coopération, ce travail de ré-association doit être accepté et non pas « imposé » comme une évidence par le thérapeute. Cette intention thérapeutique vise à permettre au sujet de pouvoir à nouveau mettre en lien des pensées et du sensoriel. Les enjeux peuvent être très importants, notamment lorsque le trouble des conduites alimentaires s’inscrit dans une finalité d’anesthésie pour échapper à des sensations trop insécurisantes ou traumatiques. En fonction du contexte, le thérapeute devra veiller, tant que la sécurité dans le lien ne sera pas complètement acquise, de ne pas tendre vers « une réassociation globale, à tout prix », du fait du risque d’abréaction anxieuse. Cependant ce travail de réassociation est indispensable, en respectant l’état et les compétences du sujet. Les stratégies sont multiples, mais le travail hypnotique reste parfaitement adapté à cette intention.

Retrouvons Lison à la séance suivante : son état est inchangé

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Hors série n°17 “Les troubles des conduites alimentaires“
Comprendre et mieux soigner

Organisé par Bruno Dubos, psychiatre, spécialiste du traitement des troubles des conduites alimentaires, avec la complicité de Julien Betbèze, rédacteur en chef de la revue Hypnose & thérapies brèves, ce hors-série de 212 pages réunit les interventions de onze thérapeutes qui décrivent leur manière de travailler. Chaque article s’appuie sur une expérience clinique et vise à transmettre des pistes pour aider les patients à se libérer des histoires dominantes dans lesquelles ils sont enfermés.

Sophie Cohen nous donne un bon exemple de stratégie pour aborder une crise de boulimie. Elle décrit une séance de « transe debout » dans laquelle elle va réintégrer les modifications de perception ayant émergé dans le dialogue thérapeutique.

Eric Bardot nous présente la situation d’une jeune femme consultant pour une surcharge pondérale. La description de l’entretien, très détaillée, nous fait comprendre l’apport novateur de la TLMR (Thérapie du Lien et des Mondes Relationnels) à l’utilisation de l’hypnose en thérapie.

Gérard Ostermann pose avec acuité le lien entre anorexie et addiction, et souligne l’intérêt de la thérapie narrative pour rencontrer l’autre.

Elisa Valteroni, collaboratrice de Giorgio Nardone, nous explique clairement comment utiliser un diagnostic opératoire avant de débloquer les processus perception-réaction dysfonctionnels. Elle insiste sur l’importance de la phase de consolidation et aborde la question du suivi.

Dominique Bligny met l’accent sur le sevrage du self-control et souligne les lacunes des recommandations de l’HAS pour cette prise en charge très spécifique. Elle nous donne des conseils pratiques très utiles en thérapie.

Cyprien Boulch nous rappelle l’intérêt, dans l’anorexie mentale, d’associer la prise en charge nutritionniste et psychiatrique avec la kinésithérapie.

Stéphanie Delacour aborde le thème de la sexualité avec deux patientes présentant une obésité. Elle souligne l’importance du mouvement dans la relation et du retour des émotions, avant de se focaliser sur la perte de poids.

Dominique Cassuto relie l’alimentation intuitive et l’hypnose dans la prise en charge de la surcharge pondérale.

Anne-Cécile Odeau nous donne un exemple de prise en charge familiale en thérapie systémique et l’intérêt d’une intervention précoce avant la chronicisation des symptômes.

Julien Betbèze présente l’évolution de l’anorexie hystérique vers l’anorexie addictive, à partir du processus d’autonomie relationnelle, en lien avec la représentation de la féminité de Freud à nos jours.
Il développe le type de questions à poser en début de thérapie pour faire émerger l’autonomie, dans une relation perçue comme maltraitante.

Bruno Dubos souligne pour les thérapeutes, l’importance de travailler les ressentis sensoriels dans un lieu sécure. Il dévoile l’importance des intentions relationnelles dans le processus d’autonomisation et décrit la mise en place d’un espace de sécurité partagée pour remettre le corps en mouvement.
 
Crédit Photo Jean-Baptiste Valiente Moro



Rédigé le 21/03/2023 à 22:39 | Lu 7505 fois | 0 commentaire(s) modifié le 21/03/2023





Laurent GROSS
- Formateur en Hypnose Médicale, Ericksonienne et EMDR - IMO au CHTIP Collège Hypnose Thérapies... En savoir plus sur cet auteur

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